Raoul Villain est arrêté juste après son geste.

Il a bien tenté de s’enfuir, mais il fut vite rattrapé. Sur le chemin qui le mène au commissariat le plus proche, la foule l’insulte, le frappe, lui crache à la figure. On réclame sa mort. Lors de l’interrogatoire, il affirme avec calme avoir agi sans complice et pour l’intérêt de la France. Celui que ses amis vont qualifier de demeuré et les médecins de débile mental est sûr d’être un héros. Pas question qu’on réduise la portée de son geste en le faisant passer pour fou !
Jean Jaures, la victime
Fils de la bourgeoisie de province, Jean Jaurès (Auguste Marie Joseph Jean Léon Jaurès de son nom d’état-civil) est normalien et agrégé de philosophie. Après avoir enseigné à Albi et à Toulouse, âgé de 25 ans, il commence sa carrière politique en 1885 comme député républicain à Castres.
D’abord républicain modéré, Jean Jaurès devient socialiste après la grande grève des mines de Carmaux de 1892 quand il voit le vrai visage de la République française aux mains des capitalistes. Le marquis de Solages, président des mines, ayant démissionné de son mandat, Jean Jaurès est élu député et va le rester jusqu’à sa mort (sauf entre 1898 et 1902). Brillant orateur, il va devenir le défenseur des ouvriers en lutte et de l’unité des forces politiques et syndicales de gauche.
Avec les socialistes, il défend Alfred Dreyfus et crée le journal l’Humanité, en 1904. Jean Jaurès, leader du socialisme français, participe en 1905 à la fondation de la SFIO qui va rassembler les différents courants socialistes français. Pour lui, les socialistes doivent s’engager pour une révolution démocratique et non violente.
Après 1905, Jean Jaurès s’oppose à la politique coloniale et à la guerre. Ayant pris des positions pacifistes à l’approche des hostilités avec l’Allemagne, il devient très impopulaire chez les nationalistes qui l’accusent de trahison. Jean Jaurès meurt assassiné par le nationaliste Raoul Villain le 31 juillet 1914, 2 jours avant la déclaration de la guerre.
En 1924, il fut transféré au Panthéon.


Raoul fervent patriote ne pourra défendre la patrie suite à son geste. En effet, il passera 57 mois en détention préventive d’abord à la prison de la Santé, puis à Fresnes.
Après de nombreux reports, son procès s’ouvre enfin le 24 mars 1919. Lorsqu’il a assassiné Jean Jaures, Raoul est intimement persuadé que le fondateur du SFIO et du journal L’Humanité «trahissait la patrie». En effet, en tant que pacifiste Jaures se battait pour éviter un conflit armé.
Le premier jour, Raoul explique que sa première cible n’était pas Jaures, mais le Kaiser Guillaume II. Mais petit à petit son obsession se tourne vers Jaures. Le Figaro du 25 mars 1919 le cite : «J’étais, dit-il, effrayé du danger que pouvait courir la patrie menée par de telles gens. Alors j’ai eu l’idée de tuer cet homme que je croyais néfaste».

C’est également ce jour-là que les experts vont intervenir. Ils l’ont rencontré en 1915 et 1918. Pour eux Raoul Villain n’est pas un aliéné, il a commis son crime avec lucidité. Ils qualifient le crime de « passionnel » et recommandent l’indulgence des juges.
Puis en fin d’après-midi, c’est le défilé des témoins de la partie civile. Dix-sept témoins qui ne feront que des éloges de Jean-Jaurès.
Le second jour commence à tourner au procès politique. On commence à aborder les idées nationalistes de Jaures pour contrer les arguments de Villain. Les différents témoins expliquent que Jaures ne voulait nullement abandonner l’Alsace-Lorraine. La partie civile avec tous ces témoignages espère faire vaciller la défense de Villain.
Lors du troisième jour, la partie civile fait passer des témoins parlant défenseur des droits et des luttes des ouvriers. Durant ces débats, Raoul Villain est comme absent. Tous les témoins de l’accusation font l’éloge de la victime.
Le quatrième jour est consacré à faire le portrait de l’accusé. Son professeur du collège Stanislas le décrit comme timide. Le président de la ligue des jeunes amis d’Alsace-Lorraine indique « je crois qu’il a dû se développer l’idée fixe qu’un homme incarnait les mesures que nous pensions être antinationales ».
Ce même jour témoigne son frère Marcel. Leur père n’a pas voulu se déplacer. Il raconte leur triste enfance, et décrit Raoul comme « facilement irritable, notamment quand il s’agissait de dévouement et de patriotisme, vivant de rien et toujours en quête de tendresse ».
L’avant- dernier jour d’audience est consacré aux plaidoiries de la défense. La famille de Jaurès déjà absente ne viendra pas plus ce dernier jour. L’avocat de Raoul commence en indiquant que pour lui, il a donné à la France sa première victoire contre l’Allemagne en commettant ce geste.
Le dernier jour l’avocat général, écartant les recommandations des médecins aliénistes, demande une condamnation sans toutefois proposer de peine. Dans sa plaidoirie, textes de Jean Jaurès en main, il conteste le portrait patriotique flatteur brossé par la partie civile.
L’avocat de Raoul Villain en appelle à la pitié des jurés pour un homme qui a fait 1750 jours de prison préventive. Il insiste essentiellement sur la fragilité psychologique de Raoul Villain et son caractère influençable. Il présente son geste comme celui d’un exalté troublé par un contexte enfiévré tout à fait singulier de passions et de tensions exacerbées. Pour cela, il n’est donc pas possible de retenir la préméditation.
Il faudra moins de trente minutes aux jurés pour acquitter Raoul Villain.

Villain, un patronyme prédestiné ?
Pas forcément. Tu le verras samedi 😉