Ayant eu 13 ans en avril, je suis en âge de travailler et la maison de champagne où ma mère est employée a besoin de main d’œuvre pour l’entretien de ses vignes ; celles-ci sont situées dans ce qui est maintenant le quartier Wilson. C’est un vaste triangle compris entre la rue de Chigny, la ligne de chemin de fer, la rue Marlin et terminant rue de Mulhouse. Le travail consiste à l’entretien permanent des vignes par binage et enlèvement des mauvaises herbes. Quand on a terminé à un bout, il est temps de recommencer à l’autre, tout se faisait à la main et à la raclette. En été l’horaire est de 6 h du matin à 19 h 30, moins 2 h ½ d’arrêt à midi. Ce sont des journées exténuantes de 10 h de travail effectif. C’était dur, mais c’était le lot de tous et on y pensait pas.
Heureusement ma mère veillait à ce que je prenne un repos suffisant. Aussitôt revenue du travail elle me faisait asseoir dans un fauteuil, les jambes allongées, les yeux fermés et défense d’en bouger tant que la soupe n’était pas dans les assiettes. Je bénis mes parents pour tous les soins dont ils m’ont toujours entourée et particulièrement à cette époque là.
A l’autre bout de Reims la bataille continuait et nous nous en apercevions de temps en temps. Pour nous protéger en cas de bombardement un abri sommaire avait été édifié au milieu des vignes avec des bottes de pailles et recouvert des paillassons utilisés en hiver pour protéger les ceps de la gelée. Tout était réuni pour être grillé vif en cas d’obus incendiaires, ce qui par chance ne s’est jamais produit. Un matin, que tout à mon travail, j’étais courbée vers la terre, un sifflement, une explosion semble me soulever puis je retombe sur le sol où je reste étendue à plat ventre, le cœur battant, écoutant le cliquetis des éclats et de la terre dans les échalas. Je me relève et cours vers l’abri où se rassemblent les autres ouvrières (nous étions une dizaine ayant chacune notre secteur). Leurs premières paroles furent « Ma pauvre, on t’a bien cru tuée en voyant la fumée de l’obus monter de ta place ». Une fois dans l’abri je m’aperçois que mon bracelet montre n’a plus que le boitier, verre et mouvement ont disparu. Je n’ai jamais rien retrouvé. C’était mon cadeau de première communion !
Des émotions j’en eus encore, mais jamais aussi fortes, les courses vers l’abri furent nombreuses, j’ai eu la peau des mollets griffés par des barbelés sans me rappeler où j’avais pu en trouver. Plus tard, j’ai souffert de brûlures à la cuisse, je dus aller consulter un major qui opérait dans une ambulance installée dans un bâtiment du cours Saint-Michel, en haut de la rue Martin Peller. C’était une brûlure par les gaz, j’avais du me réfugier dans un trou d’obus contaminé suite à un bombardement par les gaz ypérite.
Dans notre quartier de Sainte-Anne, situé à environs 5 km de la ligne de feu, les rafales d’obus étaient moins intenses qu’en pleine ville, mais ces coups sans but, isolés et inopinés, nous faisaient quand même peur. C’est alors que fut proposé à mes parents à titre de gardiens logés mais non payés un pavillon avec cave, rue Marlin, en face des vignes où j’avais mon travail et très près de celui de ma mère. Nous acceptons cette offre parce qu’il y avait une cave pour nous abriter en cas de besoin et nous évitons un long trajet pour aller travailler, trajet que nous redoutions tous, faute d’abri où se réfugier en chemin si c’était urgent.
L’année 1916 ne m’a pas laissé d’autres souvenirs marquants.
A l’automne je reprends quelques cours à l’école, puis je travaille aux caves avec ma mère : surveiller les bouteilles couleuses, coller des étiquettes lorsqu’il y avait des expéditions de champagne à assurer.
Pourtant, vers la fin de l’année, sans que je puisse en préciser la date, il me souvient, qu’une nuit mes parents me réveillèrent en sursaut : « Viens voir un zeppelin ». le temps de passer manteau et sandales et nous étions dans la rue avec beaucoup de voisins. Je ne vis d’abord que deux grandes lignes lumineuses coupant le ciel en X, puis dans leur croisement j’aperçus qu’ils éclairaient un long cigare blanc très haut dans le ciel et qui semblait se diriger lentement vers Jonchery. Un projecteur s’éteignit, un autre le remplaça et le cigare disparu derrière les arbres de la montagne au dessus de Rosnay. Des coups de canon claquaient d’un peu partout, j’étais partagée entre la peur et la curiosité lorsque tout le monde rentra à la maison.
Encore ! Encore ! Encore ! Bravo pour cet exercice 😉
vivement la suite