Une crémaillère particulière

Ça fait au moins dix fois que je vérifie que tout est prêt.
Soudain la sonnette, mon coeur s’arrête. Ils sont là.
J’entends parler en allant ouvrir.

– Lanque ne son?
– c’est nôtre maison de Reims maman répond une voix féminine.
– oulala j’ai dû mal à reconnaître.
– c’est parce que nous sommes devant la deuxième entrée celle créée en 1930 quand Léa et moi vous avons racheté cette partie. En plus la porte est blanche maintenant.
C’est donc Henri qui répond. Je me décide à ouvrir la porte.
Je me fige, ils sont tous là !
– Bonjour, entrez
– Bonjour ma Céline me répond ma grand-mère. C’est donc toi qui habite nôtre maison maintenant. Je suis contente qu’elle soit restée dans la famille.
Dans le couloir c’est la cacophonie.
– regarde moi ça. Les portes coulissent.
– oui enfin pour celles qui restent on ne peut plus entrer dans le salon rétorque mon grand-père.
– Ce n’est plus le salon pépé, venez je vous fais visiter.
Nous entrons dans la grande pièce.
– Mais tu as tout cassé !
– Quelle lumière s’étonne Tatine. Ça change.
– Mais quand même ça m’avait pris du temps à les construire ces murs bougonne Paul.
– Et moi à les reconstruire rétorque Henri.  Mais c’est la mode chez les jeunes a priori.
Marie-Angèle m’interpelle : quinque te sai?
– heu je n’ai pas compris
Léa intervient :
– elle te demande qui tu es. Excuse là elle a tendance à parler plus facilement creusois.
– Je suis la petite fille de ta petite-fille Micheline et de son mari Georges.
– et tu vis toute seule dans cette grande maison?
– Non j’y vis avec mes enfants Léonie et Tristan
– Léonie ? Mais c’était le prénom de ma première fille, la grande sœur de Léa qui est là répond Marie, enfin en français.
– Alors comme ça tu as déplacé la cuisine reprend ma grand-mère. Cela fait de l’espace on n’avait pas la même impression.
-Et le jardin reprend mon grand-père, qu’est-ce que tu as fait? Où sont mes plantations?
– Et les animaux? J’avais des lapins et des poules dans la cabane au fond.
– J’ai fait de la pelouse pour que les enfants puissent jouer. Et les clapiers servent à ranger leurs jouets.
Henri reprend :
– Et à l’étage tu as fait quoi?
– Suivez moi je vous montre
Dans les escaliers.
– Dite donc c’est clair avec ces couleurs pastels.
Arrivé en haut.
– Tu as aussi fermé la fenêtre du bureau !
– oui car ce n’est plus un bureau mais un rangement.
– Je suppose que cette première chambre est celle de Léonie.
– Qu’est-ce qui te fait dire cela Tatine dis-je en souriant?
– Le rose et le violet c’est très fille quand même.
– Et donc à côté c’est ton fils me questionne Paul.
– Oui Tristan dort ici. J’ai dédié le premier étage aux enfants.
– Même la salle de bain m’interroge mon grand-père?
 – Oui pépé, même la salle de bain.
– Ho tu as enlevé mon bidet.
– Ce n’est pas moi, on l’avait fait pour vous installer un toilette.
– Ha oui peut-être.
– Mais pour monter au deuxième tu as cassé le mur et enlevé la porte !
– Oui c’est plus simple pour les enfants.
– Et donc le deuxième étage est pour toi me questionne ma grand-mère.
– Oui, j’y ai fait un bureau et ma chambre.
– Ha oui effectivement il n’y a plus de grenier. Quel changement.
– Et c’est quoi cette nouvelle porte me questionne mon grand-père.
– Une salle de douche. J’ai un peu agrandi ce que tu avais commencé en empiétant sur le palier.
– He ben quel espace.
– Et la c’est ma chambre. Dit moi Paul tu te souviens que lorsque tu as vendu ce côté de la maison à Henri et Léa en 1930, il était indiqué qu’ils devaient fermer toutes les portes entre les deux maisons?
– Heu oui. Pourquoi?
– Nous avons fermé la dernière qui se trouvait encore au deuxième en 2014 seulement quand nous avons été obligés de vendre le 42.
– On peut dire que vous aurez pris le temps répond-il en rigolant
Après cette visite, tout le monde redescend et s’installe autour de la table. Je n’arrive toujours pas à croire qu’ils sont là tous les sept.
Paul Jouanetaud et Marie-Angèle Bourrat qui ont acheté le terrain vierge en 1908 et y ont construit la première partie de la maison.
Henri Volondat et Léa Jouanetaud qui en 1930 ont acheté une partie de la maison et l’ont agrandie. Ce qui créera deux maisons le 42 et le 42 bis.
Micheline Volondat et Georges Souëf son mari ainsi que Jacqueline Volondat (Tatine) qui toutes deux hériteront perspectivement du 42 bis et du 42 en 1961.
Puis moi, qui vient d’emménager au 42 bis avec mes enfants.
La discussion continue autour d’un café.
Paul explique.
– Quand j’ai construit la maison était à cheval sur les 42 et 42 bis actuels. Au rez-de-chaussée, tu avais en entrant à droite une salle à manger et à gauche une salle commune. En face se trouvait la buanderie et dehors le jardin avec un hangar. En montant à l’étage tu avais deux chambres.
Plans1920
Plan réalisé par Paul Jouanetaud pour le dossier de reconstruction en 1920 – Source AD 51
Henri reprend.
– Et moi quand j’ai acheté en 1930, j’ai agrandi la partie du 42 bis. J’ai fermé le passage à côté de la maison pour y construire le couloir et les toilettes au rez-de-chaussé ainsi qu’une buanderie. L’ancienne salle-commune est devenue notre salle-à-manger et à la place du hangar j’ai construit notre cuisine. Au premier étage, j’avais prévu deux chambres avec chacune leur cabinet de toilettes.
Et puis au fond la-bas j’avais des poules et des lapins.
Plan1930
Plan réalisé par Henri Volondat en 1930 pour un permis de construire – Source AM Reims
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Henri (deuxième en partant de la gauche) en train de rénover la façade avec d’autres maçons. Je pense dans les années 50
C’est au tour de ma grand-mère de reprendre.
– Nous nous sommes installés ici après le décès de maman. Tatine vivait dans l’appartement en bas au 42 bis. Nous avec les enfants, nous avions les étages à cheval sur le 42 et le 42 bis. Et papa vivait au 42 bis. Nous avons emménagé au 42 bis quand papa est décédé à son tour. Cela n’a rien changé pour les deux grands qui ont conservé la même chambre. Par contre nous avons déménagé les chambres des deux plus jeunes. Ce que tu appelles un rangement ma Céline a été la première chambre de ton oncle Didier dans cette maison. Il y avait juste la place pour son lit et quelques affaires.
Paul reprend la parole.
– Cette maison a connu beaucoup de changement en un siècle mais elle est toujours restée dans la famille.
Je me dépêche de mémoriser cet instant avant qu’ils ne partent. J’avais lancé cette invitation sans oser y croire. Cette crémaillère restera graver dans mon esprit à jamais.
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Les personnes présentes à cette crémaillère

11 commentaires sur “Une crémaillère particulière

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  1. Quelle chouette idée que de nous raconter cette crémaillère ! Bravo ! Et quelle chance de pouvoir continuer l’histoire de la maison de famille… Je te souhaite d’y vivre plein de merveilleux moments avec Léonie et Tristan !

  2. pour moi qui ai rénové et habite le  » ramonétage » de la maison de famille , votre article me touche énormément ! je suis la 5ème génération à occuper les lieux , maman est encore dans la maison principale , le tout a été construit en 1864 par mon AAGP qui était entrepreneur de maçonnerie … les pièces ont aussi changé de destination suivant les générations , cuisine et salon inversés , chambres devenues grenier .. et jusqu’à 13 occupants, dont des domestiques et ouvriers agricoles avec femmes et enfants …j’ ai pu suivre tout cela grâce aux recensements communaux !
    pour la partie que j’ ai rénové en 1987 l’ ancienne écurie est devenue pièce de vie, au 1er étage l’ appartement s’ est transformé en 2 chambres et salle de bains , dans le grenier à fourrage à présent, il y a deux autres chambres et un patio … et notre patrimoine familial perdure !

  3. Très émouvant ce récit de ta crémaillère, merci Céline de nous l’avoir fait partager ! Et quel bonheur d’avoir pu vous installer toi et tes « crapouilles » dans la demeure familale ! Je vous souhaite d’y vivre longtemps et très heureux 🙂

  4. Vraiment ce #RDVAncestral s’imposait dans l’actualité de ta nouvelle installation. Mais là, tu as réussi un texte brillant, sonore, plein d’humour et de chaleur familiale. J’adore !

  5. Scénario génial pour ce #RDVAncestral riche en émotions et rencontres ! Merci Céline pour ce moment de lecture ! C’est une belle chose de pouvoir continuer à vivre dans sa maison familiale, même si les transformations nécessaires ont pu étonner quelques uns !

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